Communication de Raphaël Vouilloz dans la cadre des 8e Rencontres Doctorales Nationales en Architecture et Paysage
Lieu : Ecole Nationale Supérieure d’Architecture de Versailles
Site de la conférence : https://rdn2025.sciencesconf.org/
Date : 16-17 octobre 2025
Titre : La séquentialité du dessin dans les traités de stéréotomie : mode d’invention, pensée proto-algorithmique et outil de recherche.
Résumé : La stéréotomie, ou l’art des assemblages en pierre de taille, est une discipline fondatrice dans l’établissement de la représentation comme outil caractéristique de l’architecte. Trouvant son origine dans le savoir-faire ancestral des métiers de la pierre, l’art du trait se dévoile dans des traités rédigés du XVIème au XVIIIème siècle par des auteurs, en France, tels que Philibert Delorme, François Derand puis Amédée-François Frézier. Alors que ces traités évoluent dans leur contenu, d’abord très liés à la pratique puis de plus en plus scientifiques et rigoureux géométriquement, une constante demeure : la méthode. Pour chaque ouvrage abordé, voûte, trompe ou escalier, un texte décrit au lecteur chaque étape guidant le tracé de l’assemblage, de sa conception générale à la fabrication de chacune de ses parties, les voussoirs. La conception et la fabrication y sont donc intrinsèquement liées. A une époque où la représentation de l’architecture n’est pas encore standardisée, les étapes de dessin sont présentées bien souvent sur une unique planche, dont le résultat est un complexe enchevêtrement du tracé de l’épure, d’élévations ou coupes et de détails de fabrication permettant de dimensionner procédés et outils destinés à la taille. On y trouve par exemple des panneaux, surfaces développées à plier pour approximer des faces du voussoir, ou des biveaux-cerces, sorte d’équerre à branche courbée. Des nominations de points ou lignes font le lien fondamental entre le texte et son illustration. Le dessin de stéréotomie présente ainsi plusieurs caractéristiques : d’abord, il décrit un objet tridimensionnel souvent complexe, deuxièmement, il procède par rapports géométriques, sans dimensions, et est donc intrinsèquement variationnel, enfin, il s’opère de manière séquentielle. Ces propriétés invitent à le réinterpréter de manière contemporaine au travers des outils numériques. Les logiciels de CAO offrent des capacités supplémentaires par rapport au dessin traditionnel : ils injectent de l’espace, grâce à la modélisation 3D, et du temps, grâce à la paramétrisation de chacune des opérations, dans la représentation de ces constructions géométriques. C’est cette dernière composante, la séquentialité, que nous souhaitons analyser en particulier dans cette communication.
Nous soulignons trois axes pour discuter de la séquentialité du dessin de stéréotomie, en l’identifiant comme mode d’invention, comme pensée proto-algorithmique et en tant qu’outil de recherche. Tout d’abord, cette séquentialité sous-tend un mode d’invention que Philippe Potié présente comme une caractéristique de l’émergence de la figure de l’architecte. En modifiant les géométries de l’une ou l’autre des étapes de tracés traditionnels connus des métiers de la pierre, l’architecte invente de nouvelles formes architecturales tout en s’assurant la maîtrise de la chaîne de conception et fabrication de l’ouvrage. Un tel travail est observable sur des trompes de Philibert Delorme (Potié, 1996) ou sur l’escalier en fer-à-cheval du château de Fontainebleau, sur lequel nous basons nos expérimentations. Cette mise en variation du dessin de stéréotomie résonne avec les caractéristiques des outils paramétriques contemporains et reste aujourd’hui au cœur du processus de conception et de création.
Ensuite, le dessin de stéréotomie peut être qualifié de pensée proto-algorithmique, car il existe une homologie entre raisonnement géométrique et logiciels paramétriques. Dans les traités, une séquence d’opérations écrites régit la construction de la représentation d’un ouvrage d’architecture. Les outils paramétriques fonctionnent de manière similaire ; il existe une variété de méthodes plus ou moins interfacées, du logiciel de CFAO aux outils de programmation visuelle, la plus immédiate étant de générer de la géométrie en écrivant directement des lignes de code.
Enfin soulignons qu’illustrer du texte par un dessin méthodique est un procédé utilisé non seulement dans les traités de stéréotomie, mais également de perspective, de gnomonique, ou encore d’astronomie. Cela témoigne d’un type de raisonnement qui dépasse les frontières de l’architecture, et qui confère un rôle central à des architectes tels que Desargues dans la fabrication de la science au XVIIème siècle (Taton, 2000). Un travail de redessin, ou plutôt de remodélisation des traités, permet d’éclairer les connaissances d’une époque, et l’usage des techniques numériques appliquées à un corpus historique constitue le champ des humanités numérique.
Notre communication est organisée en quatre parties. Une première introduit les caractéristiques du dessin de stéréotomie grâce à plusieurs exemples de constructions géométriques présentées dans les traités et que nous avons remodélisé paramétriquement. Puis nos trois axes de réflexion, la séquentialité du dessin de stéréotomie comme mode d’invention, pensée proto-algorithmique et outil de recherche, sont discutés et illustrés. Une conclusion ouvre vers de nouvelles perspectives.