- Maître de conférences en Histoire et Critique Architecturale
- 2013 : Docteur en Architecture (Université Paris-Est/Pôle de Recherche et d’Enseignement Supérieur (PRES) Est)
- 2006 : M.Sc Aménagement, option Histoire et Théorie de l’architecture, Université de Montréal, Canada
- 2006 : D.E.S.S. en design d’événement, Université du Québec à Montréal, Canada 2003 : License en design, Université de Montréal, Canada
- Membre du laboratoire depuis 2016
- Métiers, pratiques, représentations et postures de l’architecte
- Théories architecturales et méthodes de conception (XX-XXIe siècles)
- Pensées du décentrage (architecture et féminisme, informel, minorités)
Mots-clefs : Architecture, architecte, théories, féminisme, décentrage, agence d’architecture.
Contact :stephanie.dadour@grenoble.archi.fr
Lien : HAL
- Bourse du Centre Pompidou basée sur l’excellence du dossier, Mondialisation & Études Culturelles, en 2012
Sous la direction de Catherine Grenier - Bourse doctorale basée sur l’excellence du dossier, Fonds québécois de la recherche sur la société et la culture (FQRSC), 2007-2010
- Bourse de l’Université Paris Est – PRES pour le statut de chercheure invitée à l’Université Columbia, en 2010
Trois recherches sont menées parallèlement. La première, issue de la thèse doctorale, s’intéresse à la maison unifamiliale américaine comme outil de ségrégation au XXème siècle. La seconde, intitulée Ce que les agences font à l’architecture est en cours de développement, et en collaboration avec Maxime Decommer. La troisième devrait débuter sous peu ; elle porte sur les contenus féministes dans l’enseignement de l’architecture en France ainsi que sur les trajectoires des femmes-enseignantes en école d’architecture au XXe siècle.
La maison unifamiliale américaine comme outil de ségrégation
Aux États-Unis la majorité de la population habite des maisons dites unifamiliales en milieu suburbain en dehors des villes-centres. La maison unifamiliale équivaut à l’habitat pavillonnaire français à la différence de s’adresser, de par sa dénomination, à la constitution d’un ménage, celui de la famille traditionnelle, blanche, de la classe moyenne, composée du père, de la mère et des deux enfants. Ce schéma familial auquel la majorité des nord-américains croient ou veulent appartenir, correspond en fait à une recherche normative imprégnée dans l’imaginaire collectif.
Le rêve américain et ses représentations modulent les enjeux de ce type d’habitation. Il se fonde sur un modèle et des valeurs encourageant la consommation dont l’accession à la propriété. Ce Rêve représente l’espace d’articulation des valeurs de l’habiter et des modes de vie, et participe toujours à la formulation et aux prémisses des projets d’habitations. Il s’agit d’un idéal d’ordre social, dont les transformations, les enjeux et les conséquences représentent les principes fondateurs de la société nord-américaine. Il est la base des valeurs sociales et influence les rapports entre domaines privés et publics, notamment sur les registres politiques, économiques et identitaires. Ses représentations sont reprises dans les politiques et les projets d’habitation et ont un impact général sur l’architecture.
Durant le XXe siècle, les politiques gouvernementales nord-américaines encouragent ainsi vigoureusement la vie dans les suburbs, où les idées d’autosuffisance et d’égalité entre citoyens sont largement valorisées. Par la mise en œuvre de plusieurs arguments, ils contribuent à favoriser l’éloignement des centres, considérés alors comme insalubres : l’accès et la forte promotion de l’automobile comme moyen de transport, le développement de nombreuses infrastructures routières, le zonage dicté par les urbanistes du Mouvement Moderne et les soutiens gouvernementaux facilitent l’acquisition d’une propriété privée. Ainsi, se développe le milieu suburbain américain moderne.
Lieu de vie par excellence de la bourgeoise et de la classe moyenne montante, la suburb incarne le rêve américain et attire avec le temps, des profils d’individus et de ménages très variés. Réussite, statut social, accession à la propriété et vie familiale sont au cœur de cette entreprise. En effet, la logique qui encourage ce mode de vie est l’opposition entre l’imaginaire de la réussite voué à la maison, synonyme de propriété privée, de maison unifamiliale, dans un contexte suburbain et celle du logement[1], terme plus générique renvoyant à l’idée de « loger des individus » et donc d’être pris en charge par une institution quelconque (gouvernementale, associative, communautaire ou autre). Dans le contexte américain, la prise en charge d’un individu par une tierce instance constitue un échec en soi puisque la représentation sociale de la réussite, figure de proue du Rêve américain est celle du self-made man.
Or, tout le long du XXème siècle, les politiques gouvernementales et les représentations médiatisées de la suburb s’adressent à une portion de la population, faisant état de l’inclusion et de l’exclusion de certains de ces membres. Le rapport au type d’habitat participe à la construction identitaire et sous-entend des constructions sociales, historiquement variables qui se rapportent, dans le contexte américain, au genre, à la race, à la classe et à la sexualité. Cette recherche entend revenir sur ces épisodes tout en croisant des faits socio-historiques se rapportant au développement de la suburb et par conséquent, au déclin de l’habitat social. Il s’agit de comprendre les liens entre ces deux types d’habitation, valeurs d’une même équation, où l’essor et le développement de l’une (la suburb) participe au déclin et à la stigmatisation de l’autre (le logement social). Si l’habitat n’est pas un sujet d’ordre public aux Etats-Unis, force est de constater qu’il l’est aussi peu dans le milieu architectural. Il s’agit aussi de revenir sur les expérimentations architecturales qui ont eu lieu dans ce contexte, particulièrement à certains épisodes, pour rendre compte de la matérialisation de ces idéaux.
Ce que les agences font à l’architecture – avec Maxime Decommer
Où travaillent les architectes ? Cabinets, bureaux, ateliers, plateaux, appartements, chantiers sont autant de lieux de la pratique investis selon des temporalités différenciées. De nos jours, malgré l’absence du terme des textes législatifs[2], « agence » est la dénomination la plus commune au milieu professionnel pour désigner à la fois le lieu et la structure d’activité accueillant le travail des architectes ; l’agence comme entreprise d’architecture. Mais le mot revêt souvent des représentations voire des significations plus profondes : antre du génie, lieu de la créativité, il peut fasciner, tant le rapport de chaque architecte à sa pratique demeure personnel.
Dans quelle mesure les lieux de la pratique expriment-ils les manières de travailler des architectes et en quoi actualisent-ils les méthodes de fabrication du projet architectural et urbain ? Notre hypothèse est que leur organisation répond d’une réflexion des architectes sur leur travail. Concevant des espaces pour leurs propres usages, ils imaginent des aménagements révélant la mise en place, consciente ou non, de codes propres à leur discipline et à leurs postures, mis en scène ou non. Les agences d’architecture, comme n’importe quels lieux conçus par des architectes, sont un produit social, reflétant une organisation sociale et physique, des configurations spécifiques, orientant les manières d’occuper l’espace. Les modalités d’exercice révèlent également l’inscription des démarches architecturales dans une époque. Nous pensons notamment à l’introduction, dans les années 1990, des outils numériques de conception qui ont bouleversé les pratiques et donc l’agencement des lieux de l’activité.
Cette recherche fondée sur des enquêtes en cours fait de l’agence d’architecture un objet de recherche. Fondée sur des entretiens semi-directifs menés au sein des agences et des relevés habités (documents graphiques et photographiques), elle repose sur un corpus d’une trentaine de cas d’étude parisiens, appréhendés selon trois niveaux. La correspondance entre le type de structure des sociétés d’architecture et leur expression dans l’espace, interrogeant les statuts des membres des agences, leurs relations et les hiérarchies à l’œuvre. Les représentations de la structure d’activité, c’est-à-dire la manière dont les architectes se présentent et représentent leur agence, à travers l’espace même du lieu de travail, la construction de discours (supports papiers, sites Internet) et les lieux d’intervention hors de la structure d’activité. Enfin, l’organisation théorique de l’activité, révélant les processus de travail et les méthodologies du projet. Il s’agit de saisir l’inscription du travail dans les lieux d’exercice et la manière dont l’architecture des agences est conçue et utilisée. Entre épistémologie et histoire intellectuelle, nous souhaitons mettre en relation la pensée des architectes et le mouvement des idées, en mobilisant une double approche diachronique et synchronique. Quels systèmes de représentation et quel ordre social convoquent les architectes ? Quelle conception de la société et de la profession transparait dans leurs agences ?
Des contenus féministes dans l’enseignement de l’architecture
aux femmes-enseignantes en école d’architecture (France, XXe siècle)
Le Deuxième sexe de Simone de Beauvoir est paru en 1949. En 1956, la Maternité heureuse, ancêtre du Planning familial est fondé. Le Centre d’études féminines (et plus tard, d’études de genre) ouvre en 1974 grâce à l’engagement d’Hélène Cixous. Si les années 1960-70 ne signent pas l’origine du féminisme, elles marquent néanmoins un renouvellement[3], où la médiation et de nouvelles revendications féministes, notamment à travers le Mouvement de Libération des femmes (MLF) apparaissent. En France, différentes approches du féminisme sont dès lors relevées ; elles ne sont certainement pas étanches mais pointent une volonté de se différencier. La première, Psychanalyse et Politique, relayée par Antoinette Fouque, repose sur une pensée différencialiste. La seconde rassemble des féministes radicales qui s’opposent à la société patriarcale et à ces modes de production, comme Monique Wittig et Christine Delphy. Une troisième approche s’inscrit dans le mouvement ouvrier et s’attaque à la lutte de classe.
Parallèlement, la suppression de la section architecture de l’École des beaux-arts et la création d’une vingtaine d’écoles nouvelles transforment l’enseignement de l’architecture, organisé en unités pédagogiques et affilié à des séminaires et cours de sciences humaines et sociales. Dès le tournant des années soixante, les influences d’Henri Lefebvre, d’Anatole Kopp et d’Henri Raymond entre autre, jouent un rôle fondamental dans ces écoles, particulièrement au niveau de la critique sociale.
Dans cette perspective, qu’en est-il des revendications féministes dans l’enseignement de l’architecture[4] ? Existe-il des contenus féministes dans cette formation à ce moment ? Ou des lectures féministes des penseurs[5] qui inspirent les étudiants ? Le cas échéant, quels en sont les contenus, les filiations, les approches et les critiques ? Comment sont présentés ces enseignements et quels sont les liens avec l’architecture ? Quel est l’apport ou l’héritage du féminisme dans le milieu architectural français ?
Une première intuition (non-fondée) me porte à croire que de tels contenus n’ont pas été développés. Au-delà de ce pressentiment et au cas où il serait impossible d’accéder à des archives liées aux contenus des enseignements (surtout théoriques mais pas uniquement), je souhaite mobiliser la catégorie femme-enseignante pour saisir l’existence d’intérêts féministes dans l’enseignement de l’architecture. Certes, une telle catégorie sous-entend le danger de l’essentialisation des différences, mais cette appellation se veut uniquement pragmatique : elle permettrait ainsi de construire une histoire tout en déconstruisant parallèlement les identités qui la fondent. Mais elle permettrait également d’aborder le sujet avec celles qui en sont concernées, car, comme le précise Mark Wigley, la distinction genrée se trouve à tous les niveaux du discours architectonique « dans ses rituels de légitimation, ses pratiques de nomination, ses systèmes de classification, ses techniques d’exposé, ses images publicitaires, la formation de son canon, la répartition du travail, les bibliographies, les conventions de dessin (design), les conventions juridiques, les structures salariales, les pratiques en matière de publication, la langue, l’éthique professionnelle, les protocoles rédactionnels, les financements de projet, etc. »[6].
Dans cette recherche seront croisés différents types d’enquête, articulant méthodes quantitatives et qualitatives. Des enquêtes de terrain (entretien semi-directif), par observation et par entretien biographique revenant sur la trajectoire de ces femmes enseignantes seront effectués tout en prenant en compte l’historicité, la fonction critique des sciences sociales et la réflexivité. Les modalités et conditions de nomination des premières femmes enseignantes en école d’architecture seront aussi prises en considération.
Il s’agit ainsi de rendre compte de la cohérence de leurs trajectoires : quels en sont les éléments constitutifs, de quelles manières ces femmes rendent cohérentes leurs expériences et comment définissent-elles le groupe auquel elles appartiennent ou pas ? Quelles sont les contradictions qui ponctuent leurs discours et leurs situations ? Mais aussi, de rendre visible le contenu des enseignements dispensés.
Enfin, si la féminisation de la profession d’architecte fait aujourd’hui l’objet de plusieurs recherches, qu’en est-il de celle dans l’enseignement ? La dominante féminine visible aujourd’hui en école d’architecture aiguise cette recherche puisqu’elle permettrait (sur la longue durée) de dépasser une vision de l’enseignement trop unilatérale pour l’élargir aux acteurs et actrices de cette histoire, notamment les étudiants et les administrateurs.
1 En anglais l’opposition est plus subtile et renvoie aux usages des mots house/home pour signifier la maison et housing faisant référence à un problème social qui consiste à assurer une forme d’habitation à la population, quelle qu’elle soit.
2 La loi du 3 janvier 1977 sur l’architecture reconnaît plusieurs modes d’exercice dont certains se développent au sein de sociétés d’architecture, c’est-à-dire d’entreprises de forme commerciale ou civile mais ne contient pas le terme tant usité dans le milieu professionnel ; le constat est similaire dans le décret du 20 mars 1980 qui annonce le code des devoirs professionnels de l’architecte.
3 Au lendemain de la législation conférant aux femmes le droit de vote obtenu en 1944, le féminisme français s’était assoupi.4 Dans le monde anglo-saxon de la recherche, les théories du genre et de la sexualité pénètrent le champ de l’architecture (et de l’art) dès les années 1970. Dans la mouvance postmoderne, de nombreux colloques, publications et expositions démontrent l’ambition de normaliser et d’institutionnaliser de nouveaux discours architecturaux.
5 Aux Etats-Unis par exemple, les écrits d’Henri Lefebvre ont été relus selon une perspective féministe dans les années 1990. Cf. McLeod Mary, « Henri Lefebvre’s Critique of Everyday Life : An Introduction », in Architecture of the Everyday, Princeton Architectural Press, New York, 1997. Dans son introduction, McLeod précise les différences de contextes entre le moment de sa publication en France et sa reprise vingt-cinq plus tard aux États-Unis. Elle justifie la référence à Lefebvre à la base de cet ouvrage comme un espace de discussion autour des enjeux, des limites et de l’adéquation de la théorie de Lefebvre dans le contexte américain des années 1990. Par ailleurs, plusieurs articles (féministes) publiés par Mary McLeod traitent des questions du quotidien (se référant à Lefebvre) et de l’altérité, et s’inscrivent dans une critique des écrits poststructuralistes qui selon elle, même s’ils encouragent un sujet décentré, problématisent la subjectivité, alors à la base des investigations féministes. Cf. McLeod Mary, « Everyday and “Other” Spaces », in Feminism and Architecture, New York, Princeton Architectural Press, 1996, pp.1-7.
6 Wigley Mark, « Untitled: The Housing of Gender », in Sexuality and Space, New York, Princeton Architectural Press, 1992, p.329.